MED-InA in Tunisia supports Debrasy, a social inclusion project through waste sorting

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Rached Cheybi, Debrasy

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Pourriez-vous vous présenter brièvement, ainsi que votre projet ?

Nous sommes localisés à Bhar Lazraq, une zone défavorisée de La Marsa, en pleine mutation urbaine depuis quelques années. Elle y abrite un grand nombre de collecteurs indépendants de déchets recyclables, appelés « barbechas », une des plus importantes concentrations dans la région de Tunis. Beaucoup de gens n’ont pas d’autres ressources que de récupérer des déchets recyclables dans les poubelles pour les vendre et survenir à leurs besoins.

Je suis professionnel du développement d’affaires, j’ai travaillé plus de 20 ans au département de commerce et d’investissement britannique à Tunis. J’ai arrêté il y a 3 ans pour 2 activités : consultant en développement d’affaires pour devenir un membre de l’équipe qui a eu le mandat pour la gestion d’un fonds d’investissement ; et le projet Debrasy dont nous parlons aujourd’hui. L’entreprise a été lancée en juin 2021, et l’activité a commencé en août.

2.       Quand et comment avez-vous eu cette idée ?

L’idée m’est venue en voyant des gens qui faisaient les poubelles pour se nourrir : je ne pouvais pas rester les bras croisés et j’ai décidé d’agir. Avec ce projet j’essaie de contribuer à une partie de la solution à ce phénomène. L’idée est d’apporter une assistance à ces gens pour qu’ils puissent faire leur travail dans de meilleures conditions, et générer plus de revenus. Je me suis basé sur un projet pilote développé par la coopération allemande en 2017 : eux avaient impliqué une institution de microcrédit pour que ces gens puissent acheter des motos. Pour mon projet, j’ai acheté moi-même les motos et je les ai mises à disposition des barbechas. Ils viennent le matin, prennent les motos et les charrettes et nous rapportent les produits qu’ils collectent et qu’on leur achète. Au départ on prenait l’aluminium et le plastique, désormais on a ajouté le carton et le papier. On a également commencé une expérience avec un agent qui a la moto à disposition 24h/24, car dans les faits ces gens n’ont pas d’heures de travail bien définies.

Le modèle a bien fonctionné jusqu’à ce que notre activité dérange certains grossistes du plastique recyclable de la place : nous avons ces soupçons à cause du sabotage de trois de nos motocycles, auquel nous ne trouvons pas d’autre explication. Cet incident nous a incité à nous concentrer sur le renforcement du modèle économique de la société, ce qui nous a amené à servir une autre population défavorisée : les subsahariens. On les a recrutés comme ouvriers et les choses fonctionnent parfaitement avec eux.

Actuellement, et grâce au prix que nous avons gagné dans le cadre du projet MED-InA, nous nous sommes équipés d’une petite presse à balles qui nous aidera à améliorer notre marge pour la vente du carton. Je me prépare également à commencer la récupération et la vente des huiles de cuisson et usagées, et à nouer un partenariat avec un repreneur des produits plastiques afin de pouvoir offrir le meilleur prix aux barbechas. Ceci nous permettra de nous repositionner sur notre cible initiale, les barbechas. Je suis toujours convaincu qu’ils nécessitent une meilleure attention de la part de la société tunisienne et qu’ils peuvent être une force de changement qui pourra aider à mieux embellir leur quartier, à mieux gérer les déchets municipaux et à s’occuper des animaux errants. Trois problématiques qui sont d’actualité, et je crois que nous avons la possibilité d’y remédier grâce un business model un peu ajusté, pour pouvoir mobiliser au moins une quinzaine de barbechas en fonction de ce besoin.

3.       Comment le bootcamp et l’accompagnement Lab’Ess vous ont-ils aidé(s) dans la préparation du jury de pitching ?

Le bootcamp a été très utile pour bien réfléchir sur le projet et échanger avec les experts qui ont été impliqués afin d’approfondir la réflexion et penser aux ajustements nécessaires. Ce fut un encadrement adéquat, et cela m’a aidé à faire une autocritique, voir comment le projet pourrait évoluer… C’est à cette occasion que j’ai réalisé que notre entreprise ne fournissait pas que des motos avec charrettes, mais également un encadrement et une valorisation des compétences des collecteurs. L’un de nos agents, par exemple, avait des compétences commerciales et a mobilisé d’autres clients pour notre entreprise, tandis que d’autres avaient des compétences plus techniques permettant de réparer les motos et charrettes…

Cette révélation, confirmée par la suite lors de la session sur l’évaluation d’impact, nous oblige à ne pas céder et à essayer de nouveau avec les barbechas pour la bonne cause et pour le bien économique de notre projet.

4.       Comment le prix que vous avez gagné va-t-il aider votre projet, et quelles sont les prochaines étapes ?

Le prix MED-InA, au-delà de sa valeur financière, a une grande valeur morale et m’a encouragé à tenir bon malgré les difficultés, et j’en suis reconnaissant au Programme ! A travers cet appel à candidatures, il nous offre une grande opportunité sur ce sujet, parce que tous seuls on n’y arrivera pas. Nous souhaitons faire de notre initiative un projet pilote pour sensibiliser la population à séparer les bouteilles plastiques du carton, de l’aluminium, du papier, des huiles de cuisson, etc ; pour faciliter le travail des barbechas, dont certains sont âgés et vulnérables… Mon objectif est de changer les comportements ne serait-ce qu’à l’échelle d’un quartier, pour que les barbechas réalisent qu’il y a une prise de conscience parmi la population. Et je souhaite faire ce trait d’union.

Avec le prix, on a pu acheter une presse à balles comme déjà mentionné, ce qui nous a permis de passer à une nouvelle catégorie de clientèle et à réaliser une marge plus importante sur la vente du carton. Cette étape coïncide avec la possibilité d’exporter des produits de plastiques recyclables, ce qui nous permettra d’offrir le meilleur prix au barbechas, une condition sine qua non pour les attirer vers notre activité afin d’étendre l’influence positive qu’on a eue sur les barbechas à la première étape du projet.

Egalement, je souhaiterais apporter à la municipalité de La Marsa un nouveau modèle de gestion des déchets, et qui serait un projet pilote pour la Tunisie, car le pays entier fait face à ce problème, à commencer par la ville de Sfax en ce moment… Il faut être conscient que les décharges manquent, qu’elles saturent et qu’elles ne résolvent pas le problème à elles seules. Il faut donc changer de modèle pour éviter l’accumulation de déchets non-collectés… Et nous avons la chance de commencer les pourparlers avec la municipalité grâce à ce programme.

 

5.       Qu’attendez-vous de l’incubation Lab’Ess dont vous allez bénéficier ?

Je m’attends à sortir de l’incubation avec une entreprise bien organisée sur les aspects financier et gestion administrative, avec des bilans clairs pour pouvoir à terme impliquer des investisseurs et offrir à d’autres gens qui ont la même conscience que moi l’opportunité de contribuer à aider les barbechas en prenant des parts dans la société. Je compte impliquer des partenaires pour m’aider à multiplier l’impact de l’entreprise. Maintenant que je suis arrivé à un modèle qui marche et qui évolue, il faut réussir à garder cet équilibre de fonctionnement et de confiance.

6.       Comment voyez-vous votre contribution aux efforts vers moins de déchets et/ou une économie plus circulaire ?

Pour moi, les quantités de déchets récupérées et recyclées dans le Grand Tunis sont importantes, mais les quantités peuvent être améliorées. Par exemple, sur la localité de la Soukra, on estime à 5 000 tonnes la quantité annuelle de plastique non récupérée chaque année, ce qui est énorme.

Pour nous il va s’agir d’encourager le tri à la source, d’où notre idée de projet pilote pour inciter les citoyens à séparer certaines matières qu’on viendrait récupérer nous-mêmes. Nous comptons déployer une application pour faciliter la communication avec les habitants qui souhaiteraient s’impliquer. Pour le reste des déchets, nous souhaiterions qu’ils soient acheminés vers des petits centres de tri avant d’arriver aux décharges, centres dans lesquels nous impliquerions nos barbechas pour récupérer un maximum de déchets recyclables et ainsi limiter la saturation des décharges en aval, et l’impact environnemental que cela induit. C’est notre ambition de projet pilote sur La Marsa, que nous aimerions ensuite répliquer à l’ensemble du territoire tunisien !

C’est extrêmement précieux pour moi que des projets comme MED-InA, et des institutions tunisiennes ou européennes, croient en l’initiative, car mes connaissances personnelles ou professionnelles ne sont pas toujours emballées par mon engagement, qui demande beaucoup d’investissement et d’énergie. On tient bon et on a confiance en l’avenir !