#WOMED - Être responsable d'une ONG à Gaza : comment Aisha fait tomber des barrières

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C´est le premier volet de notre série de sept articles publiés dans le cadre de la Journée internationale de la femme pour mettre en lumière des femmes qui ont réussi à casser des stéréotypes dans leur société également grâce à leur participation à des projets financés par le programme  IEV CTF Med.


Le monde est rempli de contrastes mais il y a des endroits où la concentration des contrastes est encore plus flagrante et ses conséquences sur la qualité de vie des femmes sont encore plus tangibles. La bande de Gaza semble être l'un de ces endroits.

La bande de Gaza, longue de 42 km et large de 6 à 12 km avec une population de 2 millions d'habitants, est non seulement la 3ème zone la plus densément peuplée au monde, mais aussi de contrastes. La bande de Gaza est divisée en 5 gouvernorats (Nord, Centre, Rafah, Khan Younes et Gaza) et vous pouvez percevoir d'énormes différences dans un si petit endroit, selon vous vivez dans une zone rurale ou urbaine, selon les membres de votre famille, s´ils sont allés à l'université ou n´ont pas eu la chance d'aller à l'école.

Dans un endroit où les femmes ont encore besoin de l'autorisation légale de leur mari pour voyager, où les femmes ne peuvent pas sortir de leur village par crainte de la réaction des hommes, où les femmes n'osent pas se dévoiler devant un étranger (quelqu'un en dehors de sa famille ou de sa communauté), où il est impensable que des petites filles côtoient des garçons dans les écoles primaires publiques, être directrice d'une ONG et responsable d'une équipe masculine est courageux et peu commun.

C'est le cas d'Aisha Salem, 33 ans et mère de 2 filles. Elle est de Gaza. Elle est titulaire d'un diplôme universitaire et travaille depuis 11 ans pour l'ONG palestinienne, le Centre de Développement Economique et Social de la Palestine (ESDC), basée à Ramallah mais avec un bureau à Gaza. Cette ONG fournit des services aux communautés marginalisées, en particulier dans les zones rurales. Elle a commencé comme assistante administrative et elle est maintenant à la tête du bureau de l'ESDC à Gaza. Elle est également la représentante du projet FISH MED NET car ESDC est le partenaire palestinien.
 

À Gaza où la plupart des femmes ne travaillent pas à l'extérieur de chez elles, être à la tête d'une ONG régionale supervisant une équipe de 4 hommes est peu courant.

Son travail requiert des visites sur le terrain et parfois des voyages à l'étranger. Légalement, elle a besoin de la permission de son mari pour le faire. Grâce à son mari et sa famille qui sont ouverts d'esprit, ce n'est pas une contrainte pour elle. Voyager en tant que femme pour le travail dans la société de Gaza n´est pas chose commune.    C´est probablement l´un des premiers stéréotypes qu'Aisha casse. Lorsqu'elle est devenue directrice du bureau de Gaza, elle a commencé à superviser une équipe de 4 hommes ingénieurs, brisant ainsi un autre stéréotype et la liste des stéréotypes qu'elle casse est longue.

Penchons-nous sur son travail auprès des pêcheurs. A Gaza, les pêcheurs sont considérés comme une communauté fermée. Ils se lèvent très tôt, vont en mer, pêchent, reviennent, dorment et repartent à la pêche. Ils interagissent beaucoup plus avec la mer qu'avec les gens. Autant qu'elle se souvienne, elle n'a rencontré que 2 femmes pêcheuses, mais elles ont cessé cette activité dès qu'elles se sont mariées. Quant aux femmes travaillant dans le secteur de la pêche, elle les compte sur les doigts de la main : maximum 10. Ce sont soit les épouses, soit les mères de certains pêcheurs qui vendent du poisson sur la plage.

Pour rencontrer les pêcheurs de Gaza, elle doit d'abord informer officielement de sa visite au syndicat des pêcheurs, qui est situé dans une zone reculée. Lors de sa première visite, elle ne se sentait pas à l'aise d'y aller seule alors elle a demandé à l'un de ses collègues masculins de l'accompagner. Petit à petit, les pêcheurs ont appris à la connaître et se sont habitués à ses visites alors maintenant elle y va seule.
 

"Nous avons en quelque sorte brisé ce stéréotype sur les femmes des zones rurales qui ne sortent pas de chez elles pour travailler."

Lors de sa première rencontre avec les pêcheurs, elle leur a exposé l'idée d'augmenter leurs revenus grâce à la participation de leurs épouses en ouvrant une cuisine où leurs épouses cuisineraient et vendraient les plats. Leur première réaction a été un non catégorique. Pas question que nos femmes travaillent hors de la maison.

Comment se fait-il que les hommes refusent encore que leurs femmes travaillant en dehors du foyer sachant que le taux de chômage à Gaza est extrêmement élevé et que la crise économique frappe de plein fouet. Parce que le taux de chômage est si élevé, les hommes sont à la maison, sans emploi et il n'y a pas assez d'opportunités d'emploi pour tous, alors lorsqu’il y un emploi disponible, la priorité est donnée aux hommes.

"La situation économique à Gaza est très mauvaise et le taux de chômage est élevé. Les gens là-bas pensent : les hommes sont à la maison donc s'il y a des emplois, la priorité devrait être pour eux et les femmes devraient rester à la maison".

En milieu rural, les femmes « participent » au travail dans le cadre familial mais sans percevoir de salaire. C'est assez fréquent dans le domaine de l´élevage.

Revenons aux pêcheurs de Gaza, Aisha les a rencontrés à maintes reprises jusqu´à ce qu´ elle les a finalement convaincus d'ouvrir ce projet de cuisine pour leurs femmes. C'était un exploit et une autre barrière à franchir. 
Comme Aisha travaille pour des communautés marginalisées dans les zones rurales, elle doit également faire attention à sa façon de s'habiller. Aisha porte le voile mais ne couvre pas son visage. Parfois, selon les personnes qu'elle rencontre, elle portera plutôt le jilbab, un manteau long et ample qui la couvre entièrement.
 

Casser la peur 

Dans une société où les hommes contrôlent chaque aspect de la vie des femmes, casser la peur est probablement la première étape la plus importante à faire. Ensuite, les femmes peuvent avancer petit à petit, apprendre, prendre confiance, croire en elles, en leur potentiel et en leur pouvoir, commencer à être indépendantes, dans leur façon de penser et financièrement parlant. A Gaza, c'est encore un long voyage, mais au moins le voyage a commencé avec des femmes comme Aicha.


Aisha working with fishermen in Gaza