Lutte contre le gaspillage alimentaire : comment améliorer la sensibilisation des consommateurs et changer leurs habitudes ? Retour sur la campagne du projet CLIMA en Tunisie

image

A l´occasion de la Journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillages de nourriture (#IDAFLW for International Day of Awareness of Food Loss and Waste) célébrée le 29 septembre par les Nations Unies, le programme IEV CTF MED est allé à la rencontre de M. Amine Bouneoues, responsable de communication de la campagne pour lutter contre le gaspillage alimentaire lancée en Tunisie en septembre 2021 dans le cadre du projet CLIMA. Un an plus tard, dans un contexte marqué par la flambée du prix des denrées alimentaires, retour sur cette campagne et quelles perspectives peuvent être envisagées pour continuer à réduire ce gaspillage à long terme.

Lorsque le prix des aliments est étroitement lié au gaspillage alimentaire

Pour essayer de comprendre la relation que les Tunisiens ont avec les produits alimentaires de base, il faut remonter aux années 1970 lorsque l´Etat tunisien adopta la loi 72 pour encourager les investissements des capitaux étrangers. Pour cela, l´Etat décida de subventionner les denrées alimentaires de bases : pain, céréales, huiles végétales, tomates concentrées, etc.

Cette politique de subvention permet au peuple de se nourrir à un prix tout à fait abordable mais a indirectement généré des habitudes alimentaires qui font que la nouvelle génération a du mal à comprendre le prix réel des aliments. Comment un jeune qui a toujours connu le pain dans les boulangeries à 6 centimes d´euros la baguette, peut être conscient que ce pain coûte bien plus cher car sa production implique de la matière première (le blé), la consommation d´eau et d´énergie pour sa production, son transport, son stockage, etc.

De plus, l´absence de loi en Tunisie sur les invendus ne favorise pas la lutte contre le gaspillage alimentaire. Jeter des denrées alimentaires invendues couterait moins cher que de les distribuer.

Quand on touche au porte-monnaie

Il est difficile d´attribuer ce genre de comportement en fonction de l´âge ou du lieu de résidence. Est-ce que nos grands-parents gaspillaient moins ? Probablement. Est-ce que les habitants de la campagne jettent moins que les citadins ? La précarité étant plus prononcée dans les zones rurales, gaspiller moins dans ces régions est fort probable.

Même s´il n´y a pas de statistiques exactes pour établir une relation de cause à effet, l´argument majeur qui fait réagir les gens est bel et bien le porte-monnaie. La preuve, pendant la période de Ramadan, le gaspillage alimentaire a tendance à augmenter mais depuis la hausse du prix des huiles végétales, ingrédient indispensable pour mijoter les bons plats et pâtisseries en vue de la rupture du jeûne, on note une légère baisse de gaspillage.

Images de la campagne de l'année dernière : 1) le slogan de la campagne en arabe : pourquoi gaspiller quand on a les astuces ? 2) Le chiffre de 900 000 pains gaspillés par  jour en Tunisie et 3) un graphique montrant que le gaspillage alimentaire n'est pas seulement la responsabilité des consommateurs.

900 000 pains jetés par jour en Tunisie

En 2017, l´Institut National de Consommation tunisien en collaboration avec l´organisation des Nations Unis pour l´agriculture et l´alimentation (FAO), réalise une étude qui démontre que 900 000 pains sont jetés chaque jour en Tunisie. C´est à partir de ce chiffre, que l´idée est venue de mettre ces données en valeur pour interpeller le consommateur.

Pourquoi gaspiller quand on a les astuces ?

M. Bouneoues, en tant que journaliste tunisien et connaisseur des habitudes des tunisien.ne.s avec les médias, a imaginé la campagne contre le gaspillage alimentaire lancée en Tunisie avec des partenaires de la société civile et dans le cadre du projet CLIMA en septembre 2021 et cela durant 3 semaines. D´abord, la campagne s´est centrée sur les réseaux sociaux, notamment à travers la création d´une page Facebook et d´un compte Instagram avec comme slogan de campagne « pourquoi gaspiller quand on a les astuces ?».  Ensuite, une campagne a été lancée à travers une conférence de presse et en présence de médias plus traditionnels tels que la télévision et la radio. Par exemple, des vedettes locales furent invitées à des programme radios pour partager des recettes anti-gaspillage.

Une campagne anti-gaspillage dans la durée et au moment opportun

Au-delà des chiffres sur le nombre de visiteurs sur les réseaux sociaux et de l´audimat, il est difficile d´évaluer l´impact réel de ce genre de campagne. Selon M. Bouneoues, pour que ce genre de campagne soit plus efficace, il faudrait qu´elle s´inscrive dans la durée et pas uniquement pendant 3 semaines. De plus, le moment choisi pour lancer la campagne est crucial. Actuellement, il serait très pertinent de relancer ce genre de campagne, à l´heure où les circonstances internationales affectent le prix des denrées alimentaires (crise de l´énergie, guerre en Ukraine, sécheresse) et où le gouvernement tunisien négocie de nouvelles conditions avec le Fond Monétaire International en remettant en question le modèle basé sur les subventions sur les produits finis. C´est maintenant que les Tunisiens ont besoin d´être accompagner pour qu´ils et elles s´adaptent aux nouvelles réformes sur le point d´être mises en place. Nous sommes à un moment où la ménagère est plus attentive à ces astuces et plus réceptive à ce genre de message.

Nous sommes à un moment très opportun pour relancer cette campagne anti-gaspillage alimentaire car les tunisien.ne.s prêteront plus l´oreille à ce genre de message.

Un nouveau Labib adapté aux enjeux de la société actuelle ?

Demandez à n´importe quel tunisien.ne qui a grandi dans les années 1990 et 2000 à propos de Labib et vous verrez que cette mascotte a marqué toute une génération. Créé par le ministère de l´environnement de l´époque, ce fennec bleu était non seulement présent dans les écoles, à la télévision et à la radio mais il a aussi été érigé en statue dans la plupart des villes tunisiennes. Disparu en 2012, le gouvernement actuel souhaite le relancer cette année.

Au-delà d´un Labib relooké, les tunisien.ne.s ont besoin d´un vrai engagement pour éduquer les nouvelles générations aux enjeux environnementaux. Il est temps de réinventer un Labib en phase avec les préoccupations actuelles et la réalité des conséquences du changement climatique. Il est temps de miser sur la nouvelle génération et d´introduire l´éducation environnementale dans les manuels scolaires.